Histoires de gare

Rencontre photographique de Tramelan 2019

Pour cette édition, la Rencontre photographique devient aussi littéraire. Avec le thème «histoires de gare», le comité d’organisation a invité les auteurs, amateurs ou professionnels, novices ou chevronnés, à écrire de courts textes mettant en scène ces lieux particuliers. Evidemment, à travers anecdotes ou fictions, les gares régionales tiennent la vedette. Pour que la Rencontre photographique reste photographique, les textes ont ensuite été attribués aux photographes intéressés par le projet. Par le biais d’une image, ils donnent leur interprétation de ce sujet. L’histoire renaît et devient histoire photographique.

Textes et images, tirés en grand format, sont ensuite associés pour créer l’exposition.

EXPOSITION AU CIP DE TRAMELAN
DU 13 AVRIL AU 18 MAI 2019

Publication du livre Histoires de gare
Rencontre photographique, 2019. – 62 p. : ill. ; 28 cm
ISBN-ISSN: 978-2-8399-2633-1

Monsieur Maurice

Texte de Sandrine Voirol
Photographie de Cyrille Voirol

Il sait que son banc finira bien par se libérer. Aujourd’hui il n’a pas envie d’attendre. Ce n’est pas qu’il soit plus pressé qu’hier mais après tout, comme on le lui a souvent répété: «le temps c’est de l’argent !». Alors il se tient là en embuscade entre la poubelle et le composteur de billets, les mains appuyées sur sa canne. Il pourrait choisir d’aller s’asseoir sur la rive d’en face mais ici, c’est chez lui. Il le connaît comme sa poche ce quai : l’automate à café (il choisit toujours le café crème); l’ascenseur tout au bout et entre les deux, une espèce de chariot qui accueille plus souvent de jeunes apprentis fumeurs que de paquets.

Enfin! La place est libre. C’est avec un certain soulagement qu’il se laisse tomber bien au milieu du banc. Avec un peu de chance, personne ne viendra s’asseoir à côté de lui. Il baisse la tête un instant, histoire de reprendre son souffle.

Pourtant, il n’a pas toujours été vieux. C’est d’ailleurs pour se souvenir qu’il revient ici chaque jour. Un peu comme une main qui pioche et re pioche dans un plat de cacahouètes. Il se souvient de la première fois : cette main solidement arrimée à celle de son père. Sentiment de sécurité et de liberté absolue. Il se souvient pêle-mêle du brouhaha, des voyageurs chargés et pressés, des odeurs goudronnées des traverses de chemin de fer, de la dame du kiosque, de son sourire et de sa coiffure «pièce montée», de l’accordéoniste et de ses airs tristes. Il frissonne encore à l’idée de se retrouver enfermé dans les toilettes, condamné à lire ces romans de gare gravés sur les murs.

Soudain, deux jeunes femmes s’approchent. Il abandonne alors sa rêverie : elles sont charmantes avec leurs blouses blanches.

«Monsieur Maurice ! Vous êtes là ! Combien de fois faudra-t-il vous répéter que vous ne pouvez pas vous sauver comme ça ? Et en pantoufles en plus !»

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